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Michael Siegel : “Nous ne sommes plus en mesure de nous occuper des enfants en malnutrition aiguë alors qu’ils sont en danger de mort”

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les Etats-Unis ont bloqué plus de 90% des financements à l’étranger de l’Usaid qui abondait jusqu’ici des milliers de programmes d’aide au développement et humanitaires dans le monde. De nombreuses organisations sont depuis contraintes de mettre fin à des missions pourtant vitales pour les populations. C’est le cas d’Action contre la faim, membre du Pacte du pouvoir de vivre, comme le détaille Michael Siegel, directeur du plaidoyer. 

Quelle est la situation financière actuelle d’Action contre la faim ?

Le réseau international d’Action contre la faim (ACF) pourrait perdre jusqu’à 120 millions de dollars cette année si la totalité des financements gelés de l’USAID est effectivement coupée. Après trois mois de suspension, nous restons encore dans le flou. Certains versements ont déjà été annulés tandis que d’autres projets ont reçu l’autorisation de reprendre sans que l’argent nécessaire ne soit versé. À ACF France, sur les 20 contrats sous financements américains en cours, nous avons reçu 11 autorisations de reprise mais uniquement des versements de fonds partiels pour 2 projets menés en 2024, pour lesquels l’argent était déjà engagé. Sans financement, nous n’avons pas les capacités de reprendre nos activités. 
Cet arbitrage entre les actions autorisées à reprendre est par ailleurs très opaque. Initialement, les Etats-Unis avaient affirmé que les activités qui permettaient de sauver des vies ne seraient pas affectées mais la réalité c’est qu’aujourd’hui nous avons beaucoup de programmes nutritionnels d’urgence qui ont été arrêtés alors qu’ils auraient dû bénéficier d’une exemption. 

Quelles sont les conséquences pour les personnes aidées et pour l’association ? 

Nous ne sommes plus en mesure de nous occuper des enfants en malnutrition aiguë alors qu’ils sont en danger de mort.
En République démocratique du Congo, cette année 45 000 enfants devaient être soignés dans nos centres et 360 000 enfants devaient bénéficier de soins de santé : tout a été arrêté. Depuis février nous sommes dans l’impossibilité d’accueillir des nouveaux arrivant·es. Nous avions débloqué un fonds d’urgence pour continuer les traitements des enfants déjà admis mais nous n’avons plus l’argent pour poursuivre. Nos centres vont fermer à la fin du mois et dès à présent nos équipes nous informent d’enfants décédés faute de prise en charge. A Madagascar, ce sont 5000 enfants en situation de malnutrition aiguë qui ne pourront plus être pris en charge dans le sud et le sud-est du pays en proie à une sécheresse sévère. Au total, 1,5 millions de personnes ne pourront plus être aidées via les seuls projets d’ACF France en nutrition, sans compter l’assainissement de l’eau etc., dont plus de 797 000 personnes sur des activités de prise en charge vitale pour leur survie. 
Par ailleurs,  l’arrêt des missions signifie une perte de travail pour des centaines de personnes qui n’ont pas de protection sociale comme en France et se retrouvent donc sans emploi ni aide du jour au lendemain. Au total, un millier de personnes risquent de perdre leur emploi à ACF. 

Comment réagir ? Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ? 

Nous pourrions nous tourner vers d’autres bailleurs mais l’aide au développement est coupée dans beaucoup de pays européens dont la France avec une perte majeure dans le dernier budget 2025. Cette tendance à la baisse s’est confirmée lors du sommet de lutte contre la malnutrition organisé par la France fin mars. Les ONG demandaient le retour des financements post-covid soit 1,5 milliards d’euros sur 5 ans, là où la France s’est engagée à débloquer seulement 750 millions d’euros sur la période. Les États doivent honorer leurs engagements internationaux  et allouer 0,7% de la richesse nationale pour l’aide publique au développement.
De nombreuses pistes de financement existent comme une taxe sur l'agro industrie ou sur le transport de marchandises, la taxation sur les transactions financières et l’aide aux pays du sud pour qu’ils puissent mobiliser leurs propres ressources.

En 2030 nous sommes censé·es atteindre nos objectifs de développement durable dont le deuxième est d’éliminer la faim et d’assurer la sécurité alimentaire. Nous n’y sommes pas et avons de sérieuses inquiétudes. Avant les coupes budgétaires, déjà la faim ne reculait pas et un enfant mourait de faim toutes les 11 secondes. Avec la situation financière actuelle, on parle vraiment de vie ou de mort.