Depuis la promulgation de la loi « asile et immigration » en janvier 2024, les droits des personnes migrantes ne cessent d’être fragilisés. Répression accrue, enfermement prolongé, accès aux droits de plus en plus entravé, stigmatisation systématique… Fanélie Carrey-Conte, Secrétaire générale de La Cimade, dresse un constat alarmant de la situation. Dans cet entretien, elle revient sur la violence institutionnelle à l’œuvre, les attaques croissantes contre les associations de solidarité, mais aussi sur les formes de résistance et d’espoir portées par le tissu associatif et citoyen.
Quelle est l’évolution récente des politiques migratoires en France ?
Les mesures et décisions prises en direction des personnes migrantes, les discours tenus à leur propos, atteignent ces derniers mois dans notre pays un niveau de violences et de maltraitance sans précédent depuis l’après-guerre.
Déjà, la loi « asile et immigration » promulguée en janvier 2024 se révélait l’une des plus répressives de ces 40 dernières années : restriction des possibilités d’accès au séjour, utilisation de la langue non plus comme levier d’inclusion mais comme outil d’exclusion, levée des protections contre les expulsions au détriment du respect des droits fondamentaux des personnes…
Un an plus tard, sur fond de vents mauvais venus d’Outre-Atlantique, et de l’influence d’un ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui fait de la stigmatisation et de la criminalisation des personnes migrantes une obsession permanente, le contexte s’est encore durci pour les personnes étrangères. En complément de loi “asile et immigration” évoquée ci-dessus, le ministre de l’Intérieur a publié en janvier dernier une circulaire sur les admissions exceptionnelles au séjour, abrogeant la précédente circulaire dite « circulaire Valls », réduisant à peau de chagrin les perspectives de régularisation, y compris par le travail.
Cela ne semble pas s’arrêter…
Non, et avec une frénésie législative qui s’est emparée des parlementaires. Plusieurs propositions de loi sont actuellement débattues : restriction supplémentaire du droit du sol à Mayotte (comme première étape d’une remise en cause globale), allongement possible jusqu’à 210 jours de la durée d'enfermement en centres de rétention administrative (CRA), volonté de mise en œuvre d’une véritable préférence nationale déguisée avec l’instauration d’une condition de durée de résidence pour que les personnes étrangères en situation régulière puissent avoir accès à certaines prestations sociales…
A tout cela s’ajoute la maltraitance administrative : des rendez-vous en préfectures pour demandes ou renouvellement de titres de séjour devenus impossibles à obtenir, la multiplication des bugs et les dysfonctionnements de la plateforme de demande en ligne ANEF (Administration Numérique des Etrangers en France), provoquant des situations tragiques de non accès et de rupture des droits – ce que 10 associations ont récemment attaqué devant le Conseil d’Etat.
Et en toile de fond, le pacte européen sur la migration et l’asile, qui doit être retranscrit dans les législations nationales, va accentuer au plan européen les mesures de tri aux frontières, d’externalisation des politiques migratoires, les violations de droits.
Quels sont les effets concrets sur les personnes migrantes ?
Ces différentes mesures adoptées ou en cours de discussion ont des conséquences dramatiques sur leur vie, ce que La Cimade, comme les autres associations, constatent au quotidien : précarisation accrue, ruptures de droits, impasses administratives, désarroi et impuissance face à un arbitraire grandissant, notamment quand la mesure floue de « menace à l’ordre public », désormais inscrite dans la loi, est massivement utilisée pour justifier enfermement et expulsions…
Le tout s’inscrit dans un débat public saturé de préjugés, de propos hostiles aux personnes étrangères, d’assimilation permanente personnes migrantes/délinquance/ terrorisme… Un climat qui encourage les violences verbales et physiques, les agressions, la montée de la xénophobie et du racisme.
Quel est le traitement réservé aux associations de soutien aux migrants ?
Nos associations sont régulièrement ciblées par les extrême-droites et leurs réseaux, déconsidérées par une partie des médias et de la classe politique qui relaient à leur égard toutes sortes de poncifs (« dévoreuses d’argent public », « complices des passeurs », « irresponsables »…). Elles sont même parfois pointées du doigt par le ministre de l’Intérieur lui-même, qui a ainsi nommément ciblé dans une interview notre association La Cimade, qui aurait un «agenda politique » et ne serait dès lors pas légitime à bénéficier de soutien public. Dès lors, on observe dans le discours public un glissement extrêmement grave pour notre démocratie : il faudrait ainsi, pour que des associations puissent bénéficier de soutien public, qu’elles n’expriment pas de positions critiques face aux orientations gouvernementales.
Dernier avatar en date, une proposition de loi actuellement débattue au Sénat, visant à mettre un terme à l’intervention des associations pour l’exercice effectif des droits des personnes retenues dans les centres de rétention administrative. Le prétexte avancé est que les associations, qui dénoncent régulièrement les abus et violations de droit commises par l’Etat lui-même dans ces lieux de privation de liberté, ne feraient pas preuve d’une « neutralité » suffisante, alors qu’elles interviennent en rétention dans le cadre d’un marché public pour exercer des missions pleinement cadrées par le droit. La logique à l’œuvre est en réalité la même : faire taire les voix critiques que les associations expriment légitimement de par leur indépendance et leur vocation de contribution au débat public ; des éléments pourtant indispensables au bon fonctionnement d’une société démocratique.
Face à ce contexte bien sombre, quelles formes de résistance et de solidarité sont possibles ?
La première des résistances à faire vivre est celle qui vise à s’élever contre le silence et la banalisation. Cela s’avère essentiel, quand se multiplient les morts et les drames humains sur les routes migratoires, en mer, aux frontières ou ailleurs ; quand le terme « OQTF » est désormais utilisé comme un nom commun puisqu’on désigne à la vindicte « les OQTF », franchissant ainsi un degré supplémentaire de déshumanisation… Et quand des bascules majeures sont en train d’advenir dans le débat public et politique avec les atteintes au droit du sol, pourtant dans notre droit national depuis le 16e siècle ; la volonté d’instauration de mécanismes de préférence nationale, terrible entaille au principe républicain d’Egalité ; la remise en cause de l’Aide Médicale d’Etat qui serait une aberration sanitaire, éthique, économique ...
Tout cela doit être sans cesse mis en visibilité et dénoncé. Il faut aussi en permanence rappeler que, contrairement à ce que l’on montre trop souvent, de nombreuses initiatives de solidarité existent sur l’ensemble des territoires et que d’autres politiques fondées sur l’accueil, la solidarité, le respect des droits fondamentaux, sont possibles.
Les espoirs dans la période résident dans ce tissu de solidarité, trésor que nos organisations entretiennent et renforcent. Soutien mutuel, partage de ressources, initiatives collectives, par-delà nos différents secteurs d’intervention et nos affinités historiques : cette capacité à élargir des dynamiques d’alliance au service d’un projet de société porteur d’égalité, de solidarité et de justice sociale, est un levier extrêmement précieux dans la période.