Début février 2025, 40 associations du collectif des Associations pour le logement ont déposé deux recours en responsabilité contre l’Etat devant le tribunal administratif de Paris : l’un sur l’hébergement d’urgence, l’autre sur le droit au logement opposable (DALO). Les organisations considèrent que sur ces deux volets (l’hébergement et le logement), l’Etat ne respecte pas la loi et cela porte préjudice à ces structures qui défendent les droits des personnes mal logées. Ce préjudice doit donc être réparé, mais doit surtout cesser. Maider Olivier, de la Fondation pour le Logement des Défavorisés (ex Fondation Abbé Pierre) membre du Pacte du pouvoir de vivre, a coordonné l’action du collectif pour ce recours. Elle nous détaille les raisons et les enjeux de cette initiative.
1/ Le Collectif des Associations pour le Logement a lancé il y a quelques semaines une action juridique forte contre l’Etat pour non-assistance à personnes mal logées. Qu’attendez-vous de ces recours ?
Avec ces recours, les organisations souhaitent que la justice reconnaisse que l’Etat commet des fautes et que celles-ci sont structurelles. Au-delà de la bataille juridique, ces recours sont un moyen de mettre en lumière la gravité de la situation : des milliers de personnes à la rue chaque soir, des centaines de milliers de familles contraintes de continuer à vivre dans un logement inadapté voire dangereux.
Il faut donc que le juge reconnaisse les fautes de l’Etat, mais surtout qu’il lui donne des injonctions pour faire cesser le préjudice. Ces injonctions, précisées dans les requêtes, sont des leviers déjà prévus par la loi pour certains mais que l’Etat ne mobilise pas ou pas suffisamment comme especter les quotas d’attribution de logements sociaux aux prioritaires DALO, ne pas mettre en place de critères d’accès dans l’hébergement, ne pas remettre à la rue les personnes hébergées sans solution...
Mais pour que le droit à l’hébergement et celui du logement soient véritablement respectés, il faut aller au-delà des moyens prévus par loi, et que l’Etat relance la production de logements sociaux (abandonnée ces dernières années) et crée suffisamment de places d’hébergement pour les situations d’urgence.
2/ Quels sont les droits que l'Etat ne respecte pas ?
En matière d’hébergement, le Code de l’Action Sociale et des Familles garantit l’accès à un hébergement qualitatif et continu à toute personne en situation de détresse, donc de manière inconditionnelle. Or, la réalité s’éloigne de plus en plus du droit : chaque soir, plus de 6 000 personnes demandent un hébergement sans en obtenir, les remises à la rue se multiplient pour faire des « roulements », le recours massif à l’hébergement à l’hôtel est indigne du point de vue de l’intimité, de la possibilité de cuisiner, d’être accompagné etc.
En matière de droit au logement, l’Etat est aussi en faute. Depuis 2007, la loi DALO permet que la demande de logement de certains ménages soit reconnue « prioritaire et urgente » parce qu’ils sont menacés d’expulsion sans relogement, vivent à la rue ou en centre d’hébergement, dans un logement insalubre ou inadapté au handicap etc. L’Etat a alors entre 3 et 6 mois pour leur proposer un logement adapté. Or, d’après le Haut Comité pour le Droit au Logement, depuis 2007, 96 000 ménages reconnus prioritaires n’ont pas été relogés dans les délais. Pour certains, on parle de 2, 5 voire 10 ans d’attente. C’est long pour une demande qualifiée de « prioritaire et urgente » …
3/ Pourquoi l’action en justice est-elle désormais nécessaire ?
Depuis des années, nos organisations alertent sur la dégradation des conditions de vie des personnes mal logées. Mais le droit à l’hébergement et le droit au logement ne sont toujours pas respectés, ils le sont même de moins en moins.
Nos associations ont beau faire toutes les propositions constructives pour progresser, le nombre de personnes laissées à la rue augmente, celui de ménages en attente d’un logement social aussi.
De nombreuses digues légales et morales sautent : le principe même du droit de mise à l’abri pour toute personne (homme, femme, enfants en détresse) est aujourd’hui remis en cause. La situation est dramatique : il est temps que la justice intervienne pour rappeler l’Etat à ses obligations. C’est son rôle.
4/ Quelles sont les prochaines étapes ? Ces recours ont-ils une chance d’aboutir à une décision favorable ?
Le dépôt des recours le 13 février 2025 marque le début de la phase contentieuse. Nous attendons maintenant le mémoire en défense de l’Etat qui doit nous être adressé dans un délai « raisonnable » fixé par le juge. Les associations pourront ensuite envoyer leur mémoire en réplique. Il y aura ensuite le jugement en première instance. On entame une procédure de plusieurs mois, voire années.
Nous sommes confiants vis-à-vis de ce recours. Nos requêtes sont solides, elles sont le fruit d’un travail minutieux de quatre cabinets d’avocats, de salarié.es et bénévoles des associations qui ont documenté et objectivé la carence de l’Etat à la fois sur l’hébergement d’urgence et sur le droit au logement opposable.
Nous comptons également sur l’appui des citoyen·nes que nous appelons à soutenir cette initiative pour lui donner du poids, en signant notre pétition en ligne.