Dans un contexte politique marqué par son instabilité et à la veille d’élections municipales et présidentielle qui pourraient voir l’extrême droite accéder au pouvoir en France, quel rôle peut ou doit jouer la société civile organisée ? Voici la problématique à laquelle la Revue Projet, en partenariat avec le Pacte du pouvoir de vivre, apporte des éléments de réponse dans son dernier numéro. Chercheuse associée au Centre de sociologie des organisations et membre du comité de rédaction de la Revue Projet, Brigitte Fouilland nous présente les grands enseignements de cette enquête.
Pourquoi avez-vous initié cette enquête ?
La Revue Projet soutient l’engagement dans l’action par un aller-retour entre témoignages et éclairage de chercheurs et chercheuses, en se concentrant sur quatre grands thèmes : la démocratie, l’écologie, la justice sociale et les migrations. Ces sujets sont largement portés par la société civile organisée ; mais celle-ci est traversée par de nombreuses difficultés : des ressources financières limitées avec leur corollaire en matière de ressources humaines, une moindre écoute de la part de la classe politique, la montée de l’extrême droite qui génère des questionnements sur son positionnement, etc. Face à ces contraintes mais aussi dans le contexte d’instabilité politique, nous avons cherché à savoir comment la société civile organisée peut et doit se positionner ? Nous avons ainsi mené 27 entretiens anonymes, auprès de responsables d’organisations nationales mais aussi de militants proches du terrain dans plusieurs villes françaises qui, enrichis par des entretiens avec des chercheur·euses, nous permettent d’apporter des éléments de réponse dans le dernier numéro de la Revue. Cela à travers 4 thématiques : la tension entre compromis et radicalité, jusqu’où coopérer avec les partis politiques, les ressorts de la société civile organisée, les conditions de l’efficacité.
Quels sont les grands enseignements que vous en tirez ?
Tout d’abord que, malgré le contexte difficile, des actions très fortes et nombreuses sont engagées par les associations partout sur le territoire. Leur multiplicité, leur durée et la conviction des acteurs sont autant d’éléments qui nous ont marqués. L’un des éléments clé de notre enquête est que l’action locale est marquée par des expérimentations, des innovations adaptées aux territoires et souvent efficaces. Le niveau local obtient ainsi plus facilement des réponses politiques que le niveau national, même si ce dernier se démarque notamment par certaines avancées législatives. Le local peut aussi plus facilement tenir compte des besoins spécifiques des personnes. Nous avons toutefois noté des difficultés d’articulation avec l’échelon national au sein des organisations, du fait d’un manque de visibilité des actions et d’un soutien pas toujours adéquat, même si on note une diversité de situations. Parmi les autres sujets majeurs, nous avons été étonnés du rapport au politique qui est une question plus brûlante encore que ce que l’on imaginait. Si la plupart des organisations ont la volonté affichée d’être apartisanes ou neutres, la nouveauté est liée à la montée de l’extrême droite qui réinterroge leur positionnement. Sur ce point, une redéfinition est en cours et tous les acteurs ne choisissent pas la même stratégie : certains se conçoivent comme un contre-pouvoir démocratique, d’autres établissent un lien avec les politiques en fonction des projets ou de l’échelle (locale ou nationale)…La question de l’indépendance politique se pose donc pour ouvrir des espaces de dialogue et peser dans le rapport de force politique.
Quelles sont selon vous les évolutions nécessaires pour que la société civile parvienne à peser davantage encore dans notre société ?
Il y a d’abord un enjeu à trouver des outils pour enrichir les liens entre l’échelon local et national afin de davantage s’appuyer sur les actions de terrain pour peser au niveau national. Cela invitera par ailleurs à l’adoption de nouvelles pratiques, dans un meilleur usage du numérique, des réseaux sociaux ou par des liens informels, afin de pouvoir notamment s’ouvrir à des publics plus jeunes dont les usages, rythmes de vie et modes de militance diffèrent. Compte tenu de la situation financière des associations, il faudrait s’interroger sur la possibilité de travailler plus collectivement, de mutualiser des ressources, et peut-être de faire davantage appel au mécénat pour pallier la baisse de subventions publiques etc. Enfin, il y a des réflexions à mener sur le positionnement politique des organisations : vaut-il mieux maintenir le rapport de force politique frontal quitte à se couper de certains salariés, publics et bénévoles ou bien rester plus en retrait des options politiques et privilégier les projets concrets et actions de terrain, notamment au niveau local ? Ce qui apparaît clairement, quels que soient les scenarii, c’est l’envie et surtout la nécessité pour les acteurs de la société civile de faire front commun, sur le modèle du Pacte du pouvoir de vivre, souvent cité en exemple. Pour ce collectif comme pour les associations plus généralement, il convient de renforcer les actions conjointes, leur visibilité et leur efficacité.