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Laurent Delbos de Forum Réfugiés : “Cesser de considérer l’immigration comme un problème”

Sur l’immigration, le populisme, alimenté par l’extrême droite et ses alliés, gagne indéniablement du terrain. Loin des réalités statistiques, humaines et juridiques, les orientations politiques cherchent à donner des signes de fermeté à travers des postures, slogans et polémiques qui écartent toute analyse sérieuse et documentée de la situation. Cette grave évolution ne doit pas faire oublier les réels enjeux en matière d’immigration sur lesquels revient Laurent Delbos, responsable plaidoyer à Forum réfugiés, membre du Pacte du pouvoir de vivre. 

Quelles sont les répercussions de cette dérive populiste que vous constatez  ?

Ce populisme exacerbé par différents groupes politiques pour tenter de gagner des voix du côté de l’extrême droite, a avant tout fait progresser le Rassemblement national dans les urnes tout en consacrant juridiquement certaines de ses idées. Au détriment des étrangers, mais aussi de l’ensemble de la société qui n’a rien à gagner dans ces politiques qui augmentent la précarité de ces populations (avec des conséquences multiples notamment en matière de sécurité), freinent des parcours d’intégration et privent ainsi le pays de cet apport indispensable. Sous prétexte de fermeté, on instaure finalement un grand désordre préjudiciable à notre pays.

Il est indispensable de revoir ce cadre de pensée en admettant que l’immigration est un fait constant de l’histoire de l’humanité, qui tend à s’accentuer en raison des inégalités à l’échelle internationale, de la multiplication des situations de conflits et de violence ou encore des dérèglements climatiques. C’est bien sûr un défi pour nos sociétés, qu’on ne peut cependant pas aborder en cherchant simplement à freiner les arrivées : la priorité devrait être d’établir un cadre permettant d’accueillir et d’intégrer convenablement les personnes cherchant une vie meilleure chez nous, dans le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux.

Les associations qui travaillent sur les questions migratoires semblent aussi être devenues une cible, et pas seulement de l’extrême droite… 

Oui, elles semblent de plus en plus perçues comme militantes et un peu idéalistes, niant ainsi l’expérience et l’expertise uniques dont elles disposent généralement. À titre d’exemple, et c’est inédit, la Commission des finances de l’Assemblée nationale n’a auditionné aucune association développant un plaidoyer sur les questions d’asile et d’immigration pour l’élaboration du rapport sur ces crédits dans le cadre du projet de loi de finances 2025. Les deux rapporteurs, membres du groupe Ensemble pour la République, ont en revanche auditionné dans ce cadre un «observatoire» notoirement connu pour ses analyses orientées et ses liens avec l’extrême droite, qui prétend apporter une expertise scientifique sur le sujet.

Comment avez-vous analysé, à Forum réfugiés, les débats sur la situation à Mayotte et notamment les questions sur le droit du sol ?

On laisse penser d’une part que notre droit est trop généreux alors qu’il n’y a pas de droit du sol au sens strict en France (qui ferait qu’une personne acquiert automatiquement la nationalité du pays dans lequel elle naît) avec par ailleurs un cadre dérogatoire déjà appliqué dans ce domaine à Mayotte. D’autre part, aucune étude ne démontre un quelconque lien entre le droit de la nationalité et les arrivées à Mayotte. Les gens ne cherchent pas à rejoindre Mayotte pour que leurs enfants bénéficient de la nationalité française à l’âge de 13 ans (sous condition par ailleurs de la régularité du séjour des parents au moment de la naissance), mais pour envisager un avenir meilleur pour eux et leur famille. Limiter (voire supprimer) le droit du sol n’aura ainsi aucun effet sur les arrivées, ça laissera simplement moins de perspectives à certaines personnes.

Les besoins sont pourtant importants, quelles sont pour vous les priorités politiques 
et financières ? 

L’un des enjeux majeurs est de doter les politiques publiques de manière suffisante. La loi de finances 2025 récemment adoptée ne va pas dans le bon sens. Elle acte notamment une baisse de 69 millions d’euros pour l’hébergement des demandeurs d’asile dont 45 millions doivent être obtenus par la suppression de places (le reste l'étant par la non-ouverture de places provisoirement indisponibles). Cela représente sur 10 mois une diminution de plus de 11 000 places dédiées aux personnes en quête de protection, dans un contexte où déjà moins d’un demandeur d’asile sur deux est hébergé dans ce dispositif spécifique qui participe de l’efficacité de notre système d’asile. 

Plus généralement, il faudrait changer de paradigme et cesser de considérer l’immigration comme un problème, une source de danger ou de méfiance. Pour cela, le débat public doit s’appuyer sur des éléments concrets, sérieux, documentés afin que la raison prenne le pas sur l’émotion : bien gérée, l’immigration constitue avant tout un atout pour notre pays. Pour avancer dans cette approche apaisée du sujet, une priorité transversale est de replacer les droits humains au cœur des politiques publiques d’asile et d’immigration et de doter ces dernières de moyens adéquats pour répondre aux besoins des personnes – un investissement pour l’avenir, un budget pertinent étant à moyen terme bénéfique pour les finances publiques.

Lire l’article du Pacte sur la régularisation des travailleurs étrangers